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Documenteur

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  The making of Berlin par le collectif BERLIN/Yves Degryse Si l’utilisation de la vidéo au théâtre n’est pas nouvelle, elle fait depuis au moins une dizaine d’année l’objet d’une expérimentation qui va au-delà de la simple illustration pour en fai re l’outil d’une intersection entre pratiques et formats du spectacle vivant, de l’art et du cinéma. Du 1 au 5 mai 2024 au CENTQUATRE-PARIS s’est tenue la reprise du spectacle The making of Berlin du collectif BERLIN, mêlant cinéma documentaire et performance scénique. Au cours de plusieurs spectacles mêlant documentaire et performance, le collectif flamand BERLIN a fait la démarche dans son cycle Holocène de faire le portrait de villes au travers de portrait de vies individuelles. Lorsque vient le temps pour le collectif de clore le cycle en représentant la ville dont ils ont repris le nom, c’est à la vie de Friedrich Mohr que s’intéresse le metteur en scène Yves Degryse. Régisseur de l’orchestre philharmonique sous l’Allemag

L'emprise

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Le Silence des agneaux de Jonathan Demme (1991)   En première lecture, on peut penser que Le Silence des agneaux représente une critique de la domination masculine et de la violence qui lui est associée, autant disruptive de l’ordre établi (Hannibal, Buffalo Bill) que partie intégrante de celui-ci (le FBI, la prison, etc.). Cette violence s’incarne en premier lieu par le regard masculin porté sur la protagoniste Clarice Starling, campée par Jodie Foster. Ses différents entretiens, notamment avec son supérieur, le gardien de prison et surtout Hannibal, sont systématiquement l’objet d’un rapport de domination, par un dispositif asymétrique de champ-contrechamp où le cadre épouse l a vue subjective de Clarice : les hommes, le regard face à la caméra, prennent tout l’espace du plan. Cette colonisation de l’espace du cadre se trouve redoublée par celle de l’espace physique, comme le démontre un des premiers plans montrant Clarice dans un ascenseur bondé, occupé uniquement par des ho

Polaroïd

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  Aftersun de Charlotte Wells Sophie, à 11 ans, filme son père avec un caméscope. La vidéo est mise en pause, et l’on aperçoit le reflet de ce que l’on devine être Sophie adulte, regardant l’écran. D’emblée, Aftersun se situe sur le plan de la remémoration. L’image s’ajoute comme une prolongation d’archives parcellaires, dans une démarche qui, bien que fictionnelle dans son exécution, n’est pas sans rappeler celle de l’auto-fiction, Annie Ernaux en tête 1 .   Chroniques d’un séjour estival d’une fille pré-adolescente et de son père, le film ne tente pas tant de restituer une suite d’évènements qu’un lieu et une temporalité, une scène où vient se rejouer la fin d’une enfance. Il ne se passe en effet pas grand-chose dans l’hôtel qui semble figé dans un passé immobile. Le beau temps y est omniprésent, des parapentes glissent constamment dans le ciel, tandis que les mêmes personnes s’adonnent jour après jour aux mêmes activités. Pourtant, cet été figé est investi d’une dimension crépu

Vertiges de la création

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Critique d' Inu-Oh de Masaaki Yuasa (2021) Comme on peut s’y attendre la plupart du temps avec Yuasa, ce sont ici la folie visuelle et la générosité de la mise en scène qui l’emportent sur un récit dont le rythme effréné donne la sensation d’un d’un tourbillon incontrôlable ( dont le dernier plan s’en fait par ailleurs l’écho ) . La structure même est affectée, étant répartie en deux parties aux tempi radicalement différents : l a première, dans un montage aussi fluide que frénétique, s’étend sur plusieurs années à renfort d’ellipses brutales. La seconde quant à elle, voit s’enchaîner une succession de « performances », toutes plus spectaculaires, au point de frôler la saturation, tant par leur enchaînement que par leur longueur. L’effet n’est pas sans rappeler d’ailleurs l’accumulation des strates narratives dans l’œuvre de Mamoru Hosoda – un autre maître de l’animation – le récent Belle en tête. Mais contrairement à son homologue, le traitement du récit chez Yuasa ne semble p

Au seuil

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Esthétique et symbolisme dans L' Œ uf de l'ange de Mamoru Oshii (1985)   L' Œ uf de l'ange fait partie de ces films qui semblent davantage emprunter aux codes de la peinture qu'à ceux du cinéma , tant l'esthétique en constitue la principale grammaire. Sa narration se déploie en effet moins sous un prisme temporel (soit une série d'événements qui structurent et délimitent la durée de l’œuvre) que spatial. Le simple fait de délimiter l'espace en constitue déjà par ailleurs l'un des principaux axes structurels: du premier plan des mains au travelling final s'établit un rapport d'échelle du plus petit au plus grand. Le ton est ainsi donné : le lieu de la narration est celui d'un seuil entre deux contraires. Plus encore, la narration ne fonctionne par un système d e contraires amenés à s'unifier , l'inscrivant dans un procédé de narratologie qui emprunte aux récits mythologiques : la représentation d'un monde dans une tota

La main d'oeuvre

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A p ropos de Thunder (1982), Ghost (1984) et Grim (1985) de Takashi Ito   Au début de Grim , une main en contre-jour s'approche et s'éloigne de l'objectif par flashs successifs. Cette main, la paume tournée vers l'appareil, semble être celle du réalisateur, et mimer à la fois les fonctions de la focale et du cache. On peut déduire de cette séquence plusieurs choses : que le moteur cinématographique est d'emblée sous le signe de l'artisanat (on pense ici à l'expression ''main d’œuvre''), et qu'il est le produit d'une pure mise en scène , prise dans son sens le plus matérialiste, voire traditionnel en ce qu'elle s'apparenterait plus au sens théâtral de mise en espace que celui cinématographique de composition de l'espace . Ces deux notions renvoient en particulier au rôle du réalisateur (ou metteur en scène), et par extension de l'humain dans la production de l’œuvre, par opposition à un processus purement in

L'image négative

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  Quelques réflexions sur Ring d'Hideo Nakata (1998) La réception de Ring en occident semble à terme avoir été parasitée par la mode étasunienne des années 2000 : soit l'affluence de remakes et de variations de films de genre sur fond d'un artefact ou d'une technologie maudits – qu'on reconnaîtra souvent paresseux et arrivistes. Il est en effet ironique pour quiconque connaît l a fin du film de penser que son héritage sera celui de copies d'une copie qui délaissent la profondeur de l’œuvre originelle pour n'en garder qu'une surface quelque-peu asséchée. U ne rapide lecture anachronique, en n'y voyant qu'une critique réactionnaire de l'image analogique,aurait tôt fait de déclarer l’œuvre dépassée, ou encore dépourvue de vision 1 . Cette lecture cependant ne résiste pas à une analyse poussée du film ; car sous ses faux airs d'archétypes du film de genre, Ring d'Hideo Nakata se révèle un film aussi ambigu que fascinant.   U