La main d'oeuvre
A propos de Thunder (1982), Ghost (1984) et Grim (1985) de Takashi Ito
Au début de Grim, une main en contre-jour s'approche et s'éloigne de l'objectif par flashs successifs. Cette main, la paume tournée vers l'appareil, semble être celle du réalisateur, et mimer à la fois les fonctions de la focale et du cache. On peut déduire de cette séquence plusieurs choses : que le moteur cinématographique est d'emblée sous le signe de l'artisanat (on pense ici à l'expression ''main d’œuvre''), et qu'il est le produit d'une pure mise en scène, prise dans son sens le plus matérialiste, voire traditionnel en ce qu'elle s'apparenterait plus au sens théâtral de mise en espace que celui cinématographique de composition de l'espace.
Ces deux notions renvoient en particulier au rôle du réalisateur (ou metteur en scène), et par extension de l'humain dans la production de l’œuvre, par opposition à un processus purement industriel. Le procédé même du stop-motion1 est en cela très éclairant : plutôt que de laisser à la machine le soin de faire se succéder les images, chacune d'elle, au contraire, est prise ''à la main'' : cela permet notamment un contrôle de chaque milliseconde, chaque frame2. La majorité des effets ne sont justement que des jeux de lumières et de projections dans l'espace ; la captation fait donc ici presque l'entièreté du geste cinématographique. Dans Thunder, les flashs lumineux font dans un premier temps apparaître brièvement le corps de celui (ou ceux) qui tiennent la lumière ; ces flashs se muent ensuite progressivement en filets lumineux qui parcourent le film. L'humain est ici agent de la lumière, qu'il fait pour ainsi dire le ''fil'' de l’œuvre3 ; il est le principal émetteur (et guide) de la lumière, que l'objectif a techniquement pour fonction de capter.4 On peut par ailleurs s'amuser à voir dans les procédés de flous de mouvement une certaine forme d'ascendant de l'organique sur l'inorganique : le réalisateur semble ainsi vouloir mettre à défaut l'objectif par l'exploitation de ses limites.
On retrouve le motif de la main dans Ghost. Cette fois c'est une projection, paume face à l'objectif, dont les doigts se replient dans le geste d'agripper ou de prendre. On peut penser ici que le geste désigne par analogie l'acte de posséder. Mais qui possède ? et qui est possédé ? Une séquence en fin du court semble y répondre : la même image est ici superposée sur une télévision, de manière à ce que l'écran se trouve dans la paume et que les doigts se replient sur celui-ci. La possession s'étend alors sur toute l’œuvre, ainsi que sur le spectateur, tous deux réunis par l'écran, seuil du sujet regardant avec l'objet cinématographique. La main de l'auteur s'apparente alors à un outil d'envoûtement qui prend – de manière performative – possession du spectateur, du moins pendant la durée de l’œuvre.
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1 Procédé d'animation qui repose sur la succession de prises de vues réelles de façon à donner l'illusion du mouvement. Il est à noter que le procédé est différent du time-lapse dont la méthode, au contraire, consiste à décomposer un mouvement en images fixes.
2 Soit une image fixe parmi l'ensemble d'images qui composent ''l'image en mouvement'' (on renverra notamment à l'expression ''24 images par secondes''.)
3 La lumière par ailleurs porte presque entièrement le rôle d'agent du visible, car, excepté la projection, l'espace ici totalement obscur n'est appréhendable que par ses manifestations brusques ou filées.
4 On pense ici à la fonction historique de la photographie telle qu'en témoigne son sens étymologique : soit la graphie ou la transcription de la lumière.
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